Homélie du 13ème dimanche du temps ordinaire C,
Paroisse Saint-Bertin, Saint-Joseph de la Colme,
Commémoration des 1000 ans de l’abbaye Saint-Winoc de Bergues,
25 et 26 juin 2022

1 R 19, 16b.19-21 ; Ps 15 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b.11 ; Gal 5,1.13-18 ; Lc 9,51-62 

A première vue, voilà une suite de petites phrases livrées alors que Jésus fait route avec ses disciples, un passage assez anodin, une sorte de transition entre des développements plus importants. En prêtant attention, on découvre l’importance des propos de Jésus. Lui-même est à un moment charnière. Il a compris qu’il ne pourrait pas échapper à ses détracteurs. Il prend résolument la route de Jérusalem ; le texte grec dit mot à mot « il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem ». Il sait désormais qu’il va être arrêté, qu’il risque la passion et la mort. Il l’a déjà annoncé aux disciples stupéfaits qui tentent de sauver leur peau. Lui ne cherche plus à se protéger. Il a accepté la perspective de la mort. Il refuse la violence et dissuade les disciples de faire tomber le feu pour se venger des samaritains hostiles.

C’est alors que deux personnes se proposent de le suivre avec beaucoup de générosité. Jésus les accueille en manifestant beaucoup d’exigence : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête ». Autrement dit pas de repos pour qui veut me suivre ! Et « Ne regarde pas en arrière, sinon, tu n’es pas fait pour le Royaume de Dieu ». Il s’agit en effet de se tourner vers l’avenir que Dieu nous donne, de ne pas s’accrocher à ce qui est acquis, ce qui nous sécurise. Pas même de dire adieu à ses proches ou d’enterrer son père, ce qui paraît incroyable. Jésus est plus exigeant qu’Elie qui avait permis à son successeur Elisée de prendre congé des siens avant de le suivre comme prophète. 

C’est avec cette exigence, qu’à la fin du VIIème siècle, Winoc et ses compagnons partis de Saint Omer fondèrent un premier monastère à Bergues ou à Wormhout avant que l’abbaye ne s’implante définitivement il y a 1000 ans sur le site actuel du Groenberg qui a donné son nom à la ville. Dans l’observance de la règle de Saint Benoît, ils ont donné priorité à la prière et au travail. Ils ont signifié la primauté de Dieu, vécu la vie fraternelle, éduqué des centaines d’enfants et de jeunes. Leur monastère était un foyer de vie spirituelle et intellectuelle comme en témoignent les tableaux du musée de Bergues, les enluminures et les manuscrits de la bibliothèque. La beauté se manifestait dans l’art et les chants mais aussi par les œuvres de miséricorde, signes du Royaume de Dieu que leur vie cherchait à annoncer.

C’est ce Royaume qui oriente l’exigence de Jésus. Il n’est pas dur et insensible, bien au contraire mais il a accepté de perdre sa vie. Une vie qu’il n’a pas besoin de garantir, de sauvegarder comme si elle était un bien qu’il possédait. Sa vie, il la reçoit de son Père qui lui donne en abondance son Esprit Saint, l’Esprit d’amour qui le tourne sans cesse vers le Père dans une prière confiante. C’est ce même Esprit qui lui permet d’être bon et miséricordieux et lui donne la force de se donner sans compter, de ne pas opposer de violence à la violence. C’est ce même Esprit Saint, puissance de vie et d’amour, qui lui donnera de triompher de la mort et de ressusciter. 

L’Esprit est don de Dieu, amour répandu dans nos cœurs. Il est l’Esprit de liberté qui nous donne d’être nous aussi fils et filles de Dieu, frères et sœurs les uns des autres. Il nous libère de l’enfermement sur nous-mêmes, nous délivre de l’esclavage du péché, de l’égoïsme, du chacun pour soi… tout ce que l’apôtre Paul appelle la chair. Il nous libère de la convoitise qui consiste à désirer ce que nous n’avons pas et à tout ramener à nous comme si nous étions seuls au monde. 

L’Esprit nous inscrit dans l’alliance avec Dieu. Il change la vie. Désormais, pouvons donner à notre tour, donner du temps, de la compétence, de l’amitié, de l’aide… que sais-je encore. Ses fruits sont nombreux et beaux : sagesse, intelligence, conseil, force, science, esprit de prière et d’adoration, crainte de Dieu au sens d’immense respect pour ce que Dieu est. Il nous donne paix et joie. Il nous fait grandir en sainteté c’est-à-dire qu’il nous fait ressembler à Dieu, être miséricordieux, doux et humble de cœur comme Jésus. Il nous fait travailler aux liens entre les hommes, à la justice et à la communion dans le respect des différences. Il anime l’Eglise et lui donne de témoigner de l’évangile. Il permet aux disciples que nous sommes de parler la langue des gens qu’ils rencontrent, de dialoguer avec eux et de manifester la puissance de la résurrection là où l’injustice, l’indifférence, la haine, la souffrance semblent dominer. 

Chers amis, il y a de la joie à suivre Jésus et à se donner à sa suite, comme l’ont fait les moines de saint Winoc et tant d’hommes et de femmes aujourd’hui comme hier, même si cela n’exclut pas les difficultés et les obstacles que tout envoyé de Dieu, tout prophète rencontre tôt ou tard. Alors, « Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit. » (Rm12,11)

 

Père Bruno CAZIN